Encore enfant et déjà avec un enfant : Dans l’univers des filles-mères

Le quotidien des adolescentes qui deviennent mères n’est pas toujours facile. Entre stigmatisation, violence physique et verbale, elles ont généralement du mal à reprendre le cours de leur vie sociale et scolaire.

D’une apparence négligée, la mine abattue et son bébé dans les bras, Eve, 17 ans, à la recherche d’un emploi, habite Mbankomo une banlieue de la capitale Yaoundé. Elle raconte le cœur serré sa vie de maman. « J’ai accouché il y’a un an et demi et depuis ce jour, la vie n’est plus la même. Aujourd’hui, je vis au jour le jour, sans avoir même le courage de faire des plans pour demain ».

Eve est une fille-mère ou une adolescente-mère. D’après la sociologie, une fille mère est par définition également une mère célibataire. La différence est fondée sur l'âge et la position sociale. La fille mère est plus jeune. Il s'agit généralement d'une grossesse le plus souvent non désirée survenant pendant les études et à un moment inopportun.

Au Cameroun, le taux de grossesses chez les adolescentes est 24% dont 5% sont enceintes de leur premier enfant et 19% ont eu au moins un enfant, d’après les résultats clés de la cinquième Enquête démographique et de Santé du Cameroun (Eds-V), réalisée sur le terrain du 16 juin 2018 au 19 janvier 2019 par l’Institut national de la statistique. Dans le monde, selon le Fond des Nations Unies pour la population (UNFPA) 7,3 millions d’enfants naissent chaque année d’une mère mineure et parmi elles, deux millions ont moins de 14 ans. 28% des femmes de 20 à 24 ans qui vivent en Afrique Centrale et en Afrique de l’Ouest sont devenues mères lorsqu’elles étaient encore adolescentes. (Voir rapport 2020 sur « l’état de la population mondiale » - UNFPA)

Le continent africain a le taux de grossesse des adolescentes le plus élevé au monde. Comme explications à ce phénomène figurent la recrudescence des conflits, la pauvreté, l’exploitation et les abus sexuels, le manque d’information sur la sexualité et la reproduction ainsi que l’accès limité aux services de planning familial et à la contraception moderne. Il faut souligner cependant que la plupart de ces grossesses sont non désirées, ce qui est souvent la cause des avortements volontaires.

Adolescente et mère, le poids de la stigmatisation

Généralement, lorsqu’une adolescente tombe enceinte, elle ne peut échapper au regard de la société, entre discrimination et stigmatisation. Sonia Nga, sociologue à l’Université de Yaoundé I, relie les cas de stigmatisation au poids de la coutume et de certaines religions qui sacralisent la virginité chez la jeune fille. Ainsi, une grossesse hors mariage (puisse que c’est généralement le cas) est considéré comme un acte de déshonneur pour la jeune fille et pour toute sa famille. Il est ainsi récurent de voir cette jeune fille huée, calomniée et parfois maltraitée physiquement aussi bien par les membres de sa famille, que par ses amis ou encore le père de l’enfant. Et c’est parfois, seule ou presque que la jeune fille va vivre sa maternité. Une étape difficile psychologiquement et même physiquement parce que parfois le corps de ces adolescentes ne sont pas prêts à accueillir une grossesse. Une période jugée à risque par les pédiatres pour la future maman et son bébé.

Entre les couches et le school

La grossesse et la maternité poussent souvent les adolescentes à abandonner leur scolarité parfois contre leur gré. Et pourtant des dispositions légales ont été adoptées dans plusieurs pays d’Afrique dont le Cameroun, pour autoriser les filles enceintes à continuer leurs études. L’ONG Human Rights Watch constatait dans une note publiée en juin 2019 que 27 pays africains disposent actuellement de lois ou de politiques protégeant la scolarisation des adolescentes en cas de grossesse ou de maternité.

Cependant, il faut souligner qu’en dépit de l’autorisation, avoir un enfant peut avoir des répercussions sur le cursus scolaire. Un bébé à charge laisse peu de temps libre pour se concentrer sur les études.

« Dans mon cas, il ne m’a pas été autorisé à continuer mon année scolaire alors que j’étais enceinte. Et quand j’ai voulu reprendre mes études, j’ai eu vraiment beaucoup de mal. Il n’était pas facile de tenir une journée de classe alors que j’avais passé la nuit à calmer mon bébé, à l’allaiter et à changer sa couche. Surtout que je n’ai reçu aucun suivi, ni des éducateurs, ni de mes parents » a ajouté Eve.

Tout n’est pas fini

Après une maternité, le défi est double : s’assumer soi-même en assumant son enfant. Ce qui laisse difficilement de la place à la jeune mère pour construire un modèle social pour son avenir. Toutefois, même s’il est certain que pour une jeune fille devenir mère peut constituer un frein à la réalisation de ses rêves, il faut dire également que tout n’est pas fini. Tu peux te reprendre et rattraper le train. Si tu ne veux pas reprendre le chemin de l’école, tu peux te tourner vers certaines associations qui militent pour l’autonomisation des filles mères. Nous pouvons citer entre autres l’Association Savoir et développement qui offre des formations sur les activités génératrices de revenus, l’Association pour la Promotion et la Protection des Droits Humains et l’Accompagnement des Filles Mères qui militent pour la réinsertion scolaire et sociale des filles-mères. Nous avons également le Réseau National des Associations de Tantine qui regroupe des filles mères. Elles sont formées aux Activités génératrices de revenus entre autres. Les filles se soutiennent mutuellement pour ne pas baisser les bras malgré les difficultés liées à leurs situations.



Vanessa Ngono

Etudiante en master II à l'université de Yaoundé I