Les « doctas » de la rue

Le phénomène  de « docta » de la rue ou vendeurs ambulants des médicaments est apparu dans les années 1990. Aujourd’hui, il a pris de l’ampleur dans plusieurs pays africains et plus particulièrement au Cameroun. Longtemps dans les zones d’ombres, aujourd’hui il refait surface et envahit tous les trottoirs et marchés de toutes les villes du Cameroun.

Le danger à « moindre coût »
La proximité des pharmaciens de la rue et le coût tout à fait raisonnable de leurs produits est l’un des facteurs principaux qui justifie la ruée vers ces médicaments de la rue. On attend parfois plusieurs jours, que la pathologie s’accentue avant de consulter un « vrai » médecin. Dans la plupart des cas, les raisons avancées par les uns et les autres tournent autour du coût élevé et du temps à perdre dans ce processus dit normal. Au marché « Accacia », situé au quartier Biyem-Assi à Yaoundé, de jeunes Camerounais sont installés sur les trottoirs, devant des étalages de médicaments, non loin de la pharmacie. Ce sont des vendeurs de « médicaments de la rue ».
C’est un secteur qui attire beaucoup de commerçants à cause de sa rentabilité. Pas besoin de suivre une formation appropriée, ni d’avoir beaucoup de fonds pour entamer sa carrière de « pharmacien improvisé ».

Un danger inconnu
Le manque de sensibilisation sur les dangers mortels de ces denrées pharmaceutiques peut aussi être considéré comme l’une des causes principales de la consommation de médicaments de la rue. Beaucoup de patients ignorent la composition, la posologie et même la date d’expiration de ces produits. L’avis du vendeur fait foi. On ne cherche plus à en savoir plus lorsqu’il dit : « Tout le monde vient acheter nos médicaments, ils sont contents du résultat puisqu’ils retrouvent leur santé. Parfois même, ce sont les infirmiers qui travaillent à l’hôpital qui viennent acheter pour revendre aussi à un prix cher » affirme un grossiste en médicaments de la rue connu dans le secteur.

Vrais ou faux médicaments ?
Les médicaments, de la rue, ont des prix abordables pour toutes les bourses. Angèle est coiffeuse et esthéticienne. Elle s’est coupée le doigt pendant une séance de pédicure. pour Elle nous confie que, pour se soigner, elle a dû recourir à la pénicilline vendue dans la rue. « Je suis allée dans trois pharmacies différentes pour chercher la poudre pénicilline qui a souvent été efficace pour ce type de blessures. Dans les deux premières, je n’ai pas trouvé le produit que je cherchais. Dans la troisième, il coûtait 1600 francs CFA. Comme je n’avais que 500 francs, je suis allée acheter le médicament chez un vendeur de la rue. Il a coûté 200 FCFA le flacon ». Pourtant, selon des responsables de la santé comme les pharmaciens, les médicaments de la rue ont causé la mort de plus d’un. Le docteur Joseph Tchouafong est pharmacien. Il a vécu le décès de deux enfants qui ont pris un médicament de la rue.

Quid de l’hygiène et de la déontologie ?
Toutes ces récriminations ne feront pas que les vendeurs de médicaments de la rue changent de métiers. Ils tiennent mordicus à leur commerce. Pour eux, rien ne prouve que le médicament de la rue tue... Alphonse a un comptoir au marché central, sous un parasol. Il est catégorique : « tout médicament est un poison. Il faut donc veiller à ne pas le prendre mal ou à l’excès. Nous ne sommes pas des médecins, nous lisons la notice et en fonction du mal dont souffre le patient, nous pouvons lui conseiller tel ou tel autre produit. », dit-il avec beaucoup d’assurance.
Ces médicaments vendus en plein air sont exposés à toutes sortes d’intempéries. Pourtant, la conservation des produits de santé répond à des règles d’hygiène précises. Le pharmacien Joseph Tchouafong n’en revient pas : « Quand on les accuse de vendre la mort, ils nient. ». Les vendeurs des médicaments de la rue sont maintenant traqués par les responsables de la santé publique au Cameroun. De plus, le ministère de la Santé a mis sur pied des centres de santé dans plusieurs arrondissements des villes du Cameroun.

 De l’automédication au suicide ?
Même si aujourd’hui, le phénomène est devenu monnaie courante chez les populations, il y a tout de même des dangers que beaucoup n’ignorent pas. Dr. Zachariaou Alhaji, Médecin de santé publique en service à Ngaoundéré estime que la majorité des complications observées après l’automédication sont la résultante de surdosage, de confusion, ou même de contre-indication pendant la prise de ces médicaments. Ce sont des cas fréquents qui aboutissent parfois à une situation inattendue, revenant encore plus coûteuse au patient. Le problème tend à se généraliser. Derrière ces médicaments, se cache une autre réalité, celle du trafic des stupéfiants très sollicité par les usagers. En 2012, les autorités locales ont procédé à la destruction de plusieurs tonnes des médicaments de la rue d’une valeur estimée à plusieurs millions de francs CFA. Un geste qui n’a été utile que pour soi-même et non pour les exploitants du secteur qui jusque-là, ont toujours le dessus sur les actions gouvernementales. Selon certains observateurs avertis, le problème remonte au niveau des frontières où les trafiquants corrompent les agents de sécurité afin de faire entrer leurs produits sur le territoire. La porosité de ces frontières reste et demeure le principal point favori d’approvisionnement en médicaments de la rue qui viennent se stocker à l’intérieur du pays pour s’écouler de la plus belle des manières. Le combat contre les médicaments de la rue ne fait que commencer.



Franck Jaures Nkoyo

Étudiant en licence II Anthropologie à l’université de Yaoundé Ngoa Ekélé et pigiste reporter dans le site web 100%jeune Cameroun.